FELIP MARTÍ-JUFRESA et ANTONI MORA – Postface polyphonique au Monolinguisme de l’autre

Felip MARTÍ-JUFRESA et ANTONI MORA , « Postface polyphonique au Monolinguisme de l’autre », Traduire Derrida aujourd’hui, revue ITER Nº2, 2020.

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Nous proposons ici une version écourtée d’un texte écrit d’abord comme introduction à la traduction catalane du livre de Jacques Derrida El monolingüisme de l’altre (Barcelona, Universitat de Barcelona, 2017). Cette introduction aurait paru avec cette traduction si les éditions Galilée n’avaient pas refusé d’octroyer les droits de traduction si un autre écrit était ajouté à côté du texte derridien. Il paraîtra finalement comme petit livre ayant pour titre Rere la traducció aux Presses de la Universitat de Barcelona dans les semaines à venir.

« S’il est vrai qu’il y a (dans la langue chinoise) un caractère d’écriture indiquant à la fois “homme” et “deux”, il est facile de reconnaître dans l’homme celui qui est toujours soi et l’autre, la dualité heureuse du dialogue et la possibilité de la communication. Mais il est moins facile, plus important peut-être de penser “homme”, c’est-à-dire aussi “deux” comme l’écart auquel manque l’unité. »

Maurice Blanchot (Le pas au-delà)

LE CONCEPT DE PROPRIÉTÉ

– Qu’on ait du mal à dire d’une langue qu’elle est la mienne, cela peut vouloir dire avant tout ceci : qu’elle n’a rien à voir avec l’achat et la vente, qu’elle n’est pas une marchandise. Entendons-nous bien : une langue en tant que telle. Je peux, bien sûr, transformer mes connaissances d’une langue en marchandise : il y a un marché des langues comme il y a un marché des langues… de bœuf. Mais une langue en tant que telle, je ne peux ni l’acheter ni la vendre, ni réclamer un loyer, par exemple, à tous ceux qui désirent l’utiliser, ni en interdire l’usage à tous ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas en payer le prix, ni traîner en justice les mauvais payeurs.

– J’ai déjà des sueurs froides en pensant que cela puisse devenir un jour une réalité.

– Tu te l’imagines – « imagine-le, figure-toi quelqu’un qui posséderait le français. Ce qui s’appelle le français »… – imagines-tu ce cauchemar ? On pourrait l’intituler La privatisation des langues.

– J’imagine à quel point la privatisation de la terre a pu paraître une fantaisie pareille aux yeux de collectifs humains passés. Et pourtant… nous sommes la réalisation de ce cauchemar.

– Les langues auraient donc, effectivement, un propriétaire (ou un ensemble de propriétaires, les actionnaires d’une langue…). On pourrait dire, littéralement, sans métaphores ni violences conceptuelles d’aucune sorte, « Salut, bonsoir, je vous présente ma langue. Elle vous plaît ? Vous en voulez ? Car si vous voulez me saluer ou m’envoyer me faire voir dans ma langue, vous devrez me payer une certaine somme par mot ou bien louer l’ensemble de la langue pendant un certain temps. Il faut vous dire que la deuxième option est bien plus économique. Tenez, ce mois-ci j’ai des offres incroyables : « pour le même prix de location de la langue en horaire nocturne, nous vous offrons une heure de service en horaire de pointe, de 9 à 10 du matin ou de 6 à 7 le soir », ou encore, « ma langue, c’est celle-ci. Oui, oui, celle-ci, celle avec laquelle je vous adresse la parole. Et si vous voulez l’employer… il vous faudra passer à la caisse, à la Caisse d’Épargne, pour tout vous dire ». Caisse d’Épargne ou mieux encore Société Générale se serait appropriée le français – te rappelles-tu de cette vieille histoire de l’accumulation primitive de capital ? Mais si, voyons, le monsieur à la barbe grise… d’après qui tout capital à la base renvoie d’une façon ou d’une autre à un acte d’appropriation pure et dure, extérieure au fonctionnement du marché lui-même, selon les règles duquel ce capital prétend ensuite être régi et se légitimer… –, Société Générale, disais-je, se serait appropriée le français, nous lui louerions l’utilisation de la langue avec des contrats mensuels ou par mot employé. Il y aurait des inspecteurs de langue équipés des technologies de télé-contrôle les plus sophistiquées qui en entendant une personne parler français soupçonnée d’employer la langue à l’œil pourraient lui demander ou lui télé-demander légalement ses papiers ou sa carte accréditant le paiement actualisé de la location.

– Nous pourrions introduire une version moins monopoliste de cette fiction, plus proche ainsi de ce que nous avons fait, par exemple, avec la terre. Dans cette version, la marchandise-langue serait divisée en plusieurs parts et mises sur le marché comme telles. Il n’y aurait pas besoin d’être propriétaire d’une langue en entier, nous pourrions ne posséder que les adjectifs ou une partie des adjectifs, les adverbes ou quelques prépositions, les noms ou, bien évidemment, les verbes qui feraient partie d’une des parcelles les plus valorisées et les plus recherchées. Il y aurait de nombreuses bagarres, de nombreux conflits entre les propriétaires pour décider si tel verbe nominalisé est à moi ou à toi ou si tel participe passé n’est plus qu’un adjectif ou pas, beaucoup de jurisprudence et même une branche du droit lui-même. Le cours des différentes entreprises propriétaires des ensembles ou sous-ensembles linguistiques pourrait être suivi à la bourse, et un jour, nous pourrions écouter à la radio ou lire sur internet que les adjectifs se sont effondrés et que les gens courent désespérés dans les rues en pensant que tout s’écroule.

– Je suppose que ceux qui se consacrent souvent, et donc avec plus de dextérité, à la création de fictions, à ces fictions que précisément nous appelons science-fiction, doivent déjà avoir laissé libre cours à cette possibilité et construit des scénarios, des arguments et des intrigues en tout genre autour d’elle. Si j’en connaissais une, je m’y référerais avec plaisir. Si tu en connais une, n’hésite pas à me le dire. Derrida, pour ce que j’en sais, ne fait pas référence à cette possibilité qui n’a jamais été effectuée ni mise en pratique, que je sache, par un collectif humain, quel qu’il soit. Pour l’instant, la langue (ou l’un de ses composants), en tant que telle, ne peut être à moi, ni à toi, ni à lui ou à elle, elle n’appartient à personne, il ne faut payer à personne des droits d’utilisation, tout le monde y entre et en sort, en ce sens, en toute liberté. Cela ne veut pas dire, comme je l’ai déjà dit, que pour y entrer, pour apprendre à y entrer, il n’y ait pas aux portes (difficiles à compter) de chaque langue un marché (foisonnant pour quelques-unes, indigent pour la majorité des autres) qui permette à un certain nombre de gens de « gagner leur vie », comme on dit.

– Mais Derrida ne souffle mot de tout ça. Quand il consacre ses efforts à penser et à expliquer pourquoi nous ne pouvons pas affirmer en toute propriété qu’une langue nous appartient, il n’est pas en train de penser à cette propriété, au concept moderne par excellence de propriété, à celui le plus lié à l’ontologie de la physique-mathématique, l’économie et le droit moderne.

– Il ne se réfère non plus au concept de propriété lié au simple usage que nous faisons des choses, à cette « valeur d’usage » dont parlait Karl Marx, car dans ce cas ses réflexions n’auraient aucun sens. S’il était en train de dire que nous ne pouvons pas dire en toute propriété « cette langue est ma langue » en un sens analogue à celui que nous présupposons lorsque nous disons, par exemple, en revenant des toilettes dans un bar « désolé, c’est ma chaise », ou lors d’un dîner avec plus ou moins de gens « pardon, mais c’est mon verre », alors ça n’aurait aucun sens qu’il nous dise que la langue française n’était pas la sienne étant donné qu’il affirme lui-même son monolinguisme. 

– Je te suis, oui, je veux dire d’accord, mais… je reprends ces derniers exemples si représentatifs que tu donnes. Dans un bar, je reviens à « notre » table et je m’assois à nouveau à cette chaise qui (n’) est (pas) ma chaise, il y a une personne qui converse, je lui dis, eh, ce verre (n’) est (pas) à moi. Plus tard nous quitterons ensemble le bar sans emporter ni la chaise, ni le verre que nous aurons utilisé. La langue, en tant que telle, n’est à personne. Quand on est jeune, on s’amuse, presque sans s’en rendre compte, en employant des tournures et des mots que « nos » aînés n’utilisent pas, mais au fur et à mesure que l’on vieillit soi-même, on voit comment les plus jeunes utilisent des mots et des tournures que l’on comprend parfaitement, mais que l’on n’emploie pas. Si on devient un vieux grincheux, on grommellera que ces jeunes l’emploient mal, cette langue que l’on a seulement et qui n’est pas à nous.

– En somme, il est donc clair que le concept de propriété à la fois présupposé et contesté par le motif qui ouvre et règle Le monolinguisme de l’autre (« je n’ai qu’une langue, mais ce n’est pas la mienne ») n’est ni le concept juridico-économique lié à l’invention de la propriété privée (mien est ce que je peux vendre légalement), ni le concept instrumental lié à l’usage, à l’habitude, à la coutume de faire ceci ou cela avec ceci ou cela, et au savoir que suppose et produit cet usage.

– Pour affirmer malgré sa maîtrise excellente de la langue française que cette langue n’est pas la sienne, Derrida doit présupposer le concept de propriété qu’il rejette par la suite. Or si la question était celle de démonter ce concept de propriété, et en le démontant de s’en débarrasser et étant donné que –tel que Rubert de Ventós nous le rappelle– « on ne surmonte que ce que l’on remplace », n’aurait-il pas été plus efficace d’affirmer justement que cette langue était sa langue bien qu’elle ne soit pas « la sienne » ? N’aurait-ce pas été une façon de mettre en marche d’emblée un concept altéré de propriété ? Qu’est-ce qui dans cette expérience oblige à concéder ce que l’on critique ?

– Pour pouvoir avancer dans cette direction, il faudrait se poser la question suivante : quel phénomène remplit les exigences du concept de propriété que Derrida présuppose et rejette dans son rapport à la langue française ? Y-a-t-il quelque chose avec laquelle Derrida aurait concédé sans objections ce rapport de propriété qu’il n’a établi que négativement avec la langue (non) sienne ? Si établir ce rapport avec la langue est, toujours, hors de propos, tout en en constituant, toujours, négativement l’expérience, alors avec quoi Derrida aurait-il admis la justesse ou l’adéquation de ce rapport ? Savons-nous ce qu’il pensait de l’expression « ma vie » ou « mon existence » ? Pouvons-nous en tirer des conclusions en suivant la logique du Monolinguisme de l’autre ?

– Qu’aurait-il pensé de la phrase suivante, totalement tautologique, de Lluís Maria Xirinacs : « Ma vie est à moi » ? Devrions-nous opposer à cette déclaration de propriété une sorte de phrase qui essaierait de cloner le motif principal du Monolinguisme ? Ça ferait à peu près comme ça : « Oui, je n’ai qu’une vie, mais, ce n’est pas la mienne » ou, un peu plus variée, « Ma vie n’est pas à moi, bien que ce soit la seule que j’aie ». Le rapport de chacun à la vie peut-il être un modèle pour penser le concept de propriété que Derrida présuppose négativement dans son expérience de la langue en général ? Ou devons-nous plutôt penser que l’expérience derridienne de la langue est un modèle de vie, une façon de vivre le rapport aux choses et que, par conséquent, rien, aucun contenu d’expérience ne peut être proprement qualifié de mien ? L’expérience de la langue en général que Derrida décrit dans ce texte serait un modèle de l’expérience en général, un modèle pour penser une expérience de l’expérience en général. Quel est le nom et la tradition de cette expérience de l’expérience ?

– N’a-t-on pas appelé theoria cette façon d’avoir affaire à quoi que ce soit ? Et ironie ou scepticisme à « l’exercice spirituel », à la méthode pour atteindre cette position ou attitude ?

­– Écoute ce que Vincent Descombes nous dit du scepticisme (Le raisonnement de l’ours, Seuil, Paris, 2007, p.75) :

« Dans les classes de philosophie, on se représente volontiers le scepticisme comme une théorie de la connaissance. Pourtant, historiquement, les penseurs sceptiques apparaissent moins préoccupés d’arriver à des certitudes cognitives que de se libérer de toute dépendance extérieure. […] Réduire toute chose à une apparence est, pour le philosophe sceptique, une façon de conquérir une position de détachement. La visée profonde est de jouir de la liberté de quelqu’un qui n’est pas concerné par des choses insignifiantes. »

Et un peu plus loin (p. 77), il poursuit ainsi :

« Toutefois, le personnage sceptique qu’on rencontre dans les pages des philosophes, en général, n’est pas ce héros ascétique de la morale érémitique, mais plutôt une créature fictive qui est chargée par un philosophe rationaliste de formuler le défi sceptique à des fins purement méthodiques, de façon à se décharger de toutes ses opinions mal assurées, de tous ses préjugés. Il s’agit pour lui de pratiquer le doute en vue d’atteindre un fondement inébranlable. Le défi sceptique est un défi que le rationaliste se lance à lui-même en vue de se procurer une position radicale. »

– Je crois que ce « détachement » et cette « décharge » comme outil ou voie empruntée par le philosophe rationaliste « pour atteindre une position radicale » nous donnent une bonne piste pour comprendre l’attitude derridienne qui traverse non seulement cet écrit que nous avons traduit, mais aussi sa façon de penser, en cela parfaitement classique. Comme le dit Derrida, son rapport particulier à la seule langue qu’il a parlée correctement, et avec laquelle il se parlait à lui-même, devient, grâce au fait de vivre ce rapport comme une chance et non comme un malheur (un fait qu’il n’a jamais su bien s’expliquer, d’après ce qu’il nous dit lui-même), le modèle pour essayer de se défaire de cette sorte de rapport à la langue en général que présuppose sa propre expérience de la langue et qu’il nomme propriété. J’affirme que ce rapport devient le modèle pour essayer de se débarrasser de toute une façon d’être, de toute une façon d’avoir affaire aux choses, aux phénomènes, à la présence en général.

– Amusons-nous un moment à multiplier la phrase-thème du Monolinguisme en ne changeant que le contenu de l’expérience pour voir si ça marche, pour voir si nous pouvons penser cette expérience de la langue comme expérience de l’expérience en général ?

– Voyons où nous mènent toutes ces variations du thème.

– Nous avons mentionné la première variation quelques lignes plus haut. Nous continuons ? « Je n’ai qu’une maison mais ce n’est pas la mienne » ; « je n’ai qu’un ami mais ce n’est pas le mien » ; « je ne fais partie que d’une seule espèce animale mais ce n’est pas la mienne » ; je n’ai qu’un chien mais ce n’est pas le mien » ; « je n’ai qu’un pays mais ce n’est pas le mien ».

– « Je n’ai écrit qu’un livre mais ce n’est pas le mien » ; « Je n’ai qu’un enfant mais ce n’est pas le mien » ; « je n’ai qu’un travail mais ce n’est pas le mien » ; « Je n’ai qu’une mère mais ce n’est pas la mienne » ; « je n’ai qu’un corps mais ce n’est pas le mien »…

– La structure de l’expérience dirait « je n’ai qu’un… mais ce n’est pas le mien ». Mais au fond, je dirais que la première prémisse ne sert pas à grand-chose, elle n’est pas vraiment importante, ou alors elle est encore plus généralisable. Le fait que ce que nous prétendons avoir, posséder, ce à quoi nous prétendons appartenir soit unique ne fait qu’augmenter le degré de paradoxalité de la consigne, cela ne fait que surprendre un peu plus, mais, à bien y regarder, le sens de la phrase de Derrida sera toujours le même si au lieu de dire « je n’ai qu’une langue », nous disions « j’ai 173 langues mais ce ne sont pas les miennes » ou, comme il le suggère lui-même, « j’ai toutes les langues passées et à venir mais ce ne sont pas les miennes » ; ou bien encore, « j’ai toutes les vies passées et à venir mais aucune n’est la mienne ». La structure de l’expérience en question devrait plutôt être formalisée comme suit : « j’ai… mais ce n’est pas le mien ». Ou encore de façon plus raffinée : « j’ai… mais ce n’est pas à moi ».

– Ça a l’air d’un exercice. Je crois que ce livre ne traite que d’une démarche, d’un exercice philosophique dont le sens n’est pas épistémologique mais propédeutique. Plus qu’un contenu conceptuel, Derrida nous livre une question d’éthique phénoménologique, un modèle de gymnastique pour se débarrasser d’une certaine façon d’avoir affaire aux choses, une façon de vivre les choses telles qu’elles sont catégorisées d’après un ordre d’appartenance, du moindre degré au degré maximum, du « n’est que mien » au « n’est pas du tout mien ». Le sens de ce discours serait donc performatif, comme on dit ; ce serait l’exercice nécessaire, mais insuffisant, afin d’établir une nouvelle sorte de rapport à ce qui arrive et m’arrive, à ce qui me constitue. Il ne s’agit pas d’envoyer balader les langues, les autres, la vie, les chiens, les maisons, les amants, les enfants, les mères, les pays, l’humanité ou l’être lui-même. Il s’agit de s’y prendre autrement, de modifier notre façon d’être avec l’être, d’être dans l’être, de modifier notre archi-position. Et une fois cette position obtenue, cela devrait impliquer l’invention d’une autre façon de faire, une autre politique, en définitive, une autre façon de vivre…

– « Psychologiser » Derrida ? C’est ça notre lecture ?

– Plutôt, Apprendre à vivre enfin… En fin de compte, un projet philosophique fort classique. Écoute ce texte, par exemple, il y parle de ce qu’il prétendait faire dans le livre que nous avons traduit. Je l’ai extrait de De quoi demain… (Fayard/Galilée, 2001, p.155) :

« Comment trouver le juste milieu entre la réaffirmation de la nation – je n’ai rien contre ce terme –, et le nationalisme, qui est une forme très moderne de la lutte pour la survie, et même l’expansion de l’État-nation ? Aujourd’hui, le nationalisme est toujours un État-nationaliste, une revendication envieuse, c’est-à-dire jalouse, vengeresse, pour une nation constituée en État souverain. C’est ici que commencent les difficultés, mais je ne suis pas sûr qu’un nationalisme n’agisse pas déjà, pour aussi discret qu’il soit, dans les limites mêmes de la conscience nationale la plus sympathique, dans l’affirmation d’appartenance à telle ou telle communauté nationale, culturelle, linguistique la plus innocente. D’où la difficulté de fuir le nationalisme. Mais, faut-il le fuir ? Ne devrions-nous pas plutôt, comme je serais tenté de penser, et comme, d’autre part, j’ai essayé de le dire (spécialement dans L’autre cap et dans Le monolinguisme de l’autre[1]), le diriger vers une autre expérience de l’appartenance et une autre logique politique ? ».

Ne t’inquiète pas, ne m’inquiète pas non plus : je n’ai aucune envie de parler de nationalisme. Qui plus est, je te prie de ne pas le faire. J’imagine très bien le genre de lecteur qui a déjà commencé à lire ce texte en pensant qu’il n’y trouverait que des digressions de « nationalistes catalans », comme ils disent avec mépris. Nous ne leur donnerons pas ce plaisir.

Il ne s’agit ici que de reprendre la structure de la démarche de Derrida et de voir que l’espace qu’occupe le nationalisme dans ce texte est occupé par d’autres concepts dans d’autres textes : hospitalité, pardon, raison, messianisme, démocratie, souveraineté, psychanalyse… La récurrence obsessive de l’adjectif autre dans son œuvre, surtout à partir d’un certain moment, est un des indices de cette démarche. C’est le nom ou la trace de cet effort, de cette volonté de migration conceptuelle, lequel effort présuppose un exil conceptuel préalable. Cet exil est la suspension du savoir dans lequel nous étions installés, c’est le détachement auquel faisait référence Descombes qui emprunte chez Derrida la forme de phrases telles que celles citées auparavant. Derrida a l’habitude de commencer à penser en battant les cartes, en défaisant les différences établies (« la tradition dit que X = A et Y = B, mais comme nous pouvons le constater X est aussi égal à B et Y à A »). Ceci dit, cette opération, à la base de tous les cris de ses détracteurs qui ne voient dans sa pensée que ce moment introductoire (ne lisent-ils que les premières pages ?) permettant de l’accuser de tout mélanger, d’embrouiller la compréhension au lieu de nous aider à y voir plus clair, cette opération, dis-je, n’est toujours que le pas préalable, le geste inaugural qui permet de se mettre en situation d’exil (de « se déterritorialiser », diraient les deleuziens) afin de se mettre en route vers cet autre concept de X ou Y dans lequel il désirerait pouvoir réinstaller la pensée (les deleuziens auraient dit « se reterritorialiser »).

– Dans ces parages, il faudrait parler de la réception derridienne d’un des aspects du concept d’existence heideggérien plus étroitement lié à cette question de la propriété et de l’appropriation. Je me réfère à la fameuse Jemeinigkeit, à la à-chaque-fois-mienneté de l’existence. Je dis ça parce que, bien que sans doute la phrase de Xirinacs va dans ce sens, le concept de vie nous dirige plutôt vers cet autre aspect de l’existence qui n’est pas justement à chaque fois mien, mais à tout ce qui vit, à toute bestiole vivante. Je pense bien que nous finirions par démontrer que le geste de Derrida dans ce texte est applicable à la langue comme à toute autre chose, si nous montrions comment le faire par rapport à cet aspect de l’existence le plus fortement lié à ce concept de propriété, à ce qui est non seulement mien, mais qui ne peut être que mien et à personne d’autre. La à-chaque-fois-mienneté de l’existence implique le concept le plus hyperbolique de propriété auquel nous pouvons penser. Car l’existence est ici l’aspect ou la dimension essentiellement non-collectivisable de l’être : le nom de la singularité de l’être.

– Si la mémoire ne me fait pas défaut, il me semble que ce que tu demandes, tu le trouveras dans un texte que Derrida a publié à peu près en même temps que Le monolinguisme de l’autre, neuf mois avant, ce que tu pourrais déjà interpréter comme un indice qui tendrait à confirmer ta thèse. Le texte s’intitule Apories et il a tout d’abord été présenté en tant que conférence le 15 juillet 1992, c’est-à-dire trois mois après la première version orale de Le monolinguisme de l’autre. Écoute bien comment il présente le thème de la conférence au début du texte (Apories, Galilée, 1996, p. 18-19) :

« Il s’agit donc de penser le principe même de la jalousie comme passion primitive de la propriété et comme souci du propre, de la propre possibilité, pour chacun, de son existence. De cela seul dont on peut témoigner. Comme si d’abord on pouvait être – ou ne pas être – jaloux de soi-même, et en crever. Il y aurait donc, d’après Sénèque, une propriété, un droit de propriété sur sa propre vie. La frontière (finis) de cette propriété serait plus essentielle, plus originaire et plus propre, en somme, que celle de tout autre territoire au monde ».

S’il s’agit de se détacher, de se débarrasser de ce concept de propriété qui adhère si bien à notre expérience comme s’il s’agissait d’une catégorie chewing-gum transcendantale, alors nos premiers et derniers efforts devront viser ce rapport hyperbolique de propriété que nous avons tous tendance à avoir avec nous, à chaque fois, c’est ce rocher qu’il faudrait aborder. En ce sens, tu en conviendras avec moi, l’effort que nous devrons faire pour accepter l’altérité de la langue propre comme une vertu sera un jeu d’enfants comparé à l’effort que nous devrons faire pour accepter l’altérité de l’existence propre comme une vertu. D’ailleurs, nous devrons faire tout particulièrement preuve d’honnêteté intellectuelle lorsqu’il s’agira de mettre sur la table tous les phénomènes liés à l’expérience rageuse et envieuse de cette propriété hyperbolique de l’existence, en suivant le modèle du rapport d’appropriation indue de la langue dite propre.

– Laisse-moi me référer brièvement à un texte de Rosa Luxembourg qui nous obligerait à penser le thème du livre en partant de coordonnées qui, bien que différentes, sont, à mon avis, les bienvenues. S’il s’agit de savoir concevoir avec justesse et justice cette collectivité de la langue qui nous semble étrange (à nous membres bien enracinés dans l’idéologie libérale d’une société capitaliste), nous ne devrions pas nous étonner qu’il faille penser à relier cette collectivité à la vieille question de la propriété collective de la terre. Nous l’avons déjà suggéré au début de ce texte. Si nous disposions de plus de temps, nous devrions à nouveau nous enfoncer dans ce vieux terrain boueux et embourbé. D’où pouvons-nous concevoir aujourd’hui un rapport aux choses autre que le rapport de propriété, si ce n’est à partir du rapport de (non) propriété qui définit encore aujourd’hui notre rapport aux langues ? Peut-être que si nous savions concevoir correctement ce rapport, nous pourrions concevoir une autre façon d’être en rapport les uns avec les autres et les uns avec les choses. Des conditions de vie potables pour la société humaine à venir pourraient tout simplement dépendre du sens que nous soyons capables de donner à cette propriété collective, un syntagme qui –comme le disait Derrida d’un autre syntagme, souveraineté conditionnelle– déconstruit déjà le concept de propriété. Écoutons ce texte pour finir (Rosa Luxembourg, Introduction à l’économie politique, Smolny, Toulouse, 2008, p.201) :

« Lorsqu’en 1873, à l’Assemblée nationale française, on régla le sort des malheureux Arabes d’Algérie par une loi instaurant de force la propriété privée, on ne cessa de répéter, dans cette assemblée où vibrait encore la lâcheté et la furie meurtrière des vainqueurs de la Commune, que la propriété commune primitive des Arabes devait à tout prix être détruite, “comme forme qui entretient dans les esprits les tendances communistes” ».

Je trouve pour le moins curieux que Derrida ne fasse pas référence à cette loi dans son texte. Entre cette loi et le décret Crémieux, il n’y a que trois ans de différence, avec la Commune de Paris en plein milieu : 1870, 1871 et 1873. Enfin, laissons ça pour une autre occasion.

ADDENDA : DE LA LINGOPHILIE

– Avant de nous quitter pour de bon, ne penses-tu pas que nous devrions interroger l’évidence de cet amour envers la langue que Derrida déclare à maintes reprises ? Cet amour n’a-t-il pas un côté étrange ? D’où vient-elle cette lingophilie ? Que diable sommes-nous en train de dire lorsque nous disons que nous aimons une langue ? D’où vient ce désir d’aimer une langue, de sentir de l’amour pour une langue si ce n’est une forme de narcissisme par élément ou objet interposé ? Qu’est-ce que nous aimons exactement ? Puis, tu ne trouves pas que le maître de la suspicion, le vaillant et courageux déconstructeur se dégonfle sur ce point, qu’il ne questionne pas assez toutes ces déclarations d’amour qu’il fait à la langue française ? Dans la dernière interview qu’il a donnée avant de mourir et qui a été publiée (Galilée, 2005) de façon posthume sous l’étrange titre Apprendre à vivre enfin (je m’y suis référé brièvement tout à l’heure), Derrida se déclare lyriquement à nouveau à la langue française, et il nous donne certaines pistes pour essayer de répondre à cette question. Voyons ce qu’il répond à la question de Jean Birnhaum :

« – Dans Le Monolinguisme de l’autre (Galilée, 1996), vous allez jusqu’à vous présenter, ironiquement, comme le « dernier défenseur et illustrateur de la langue française »…

– Qui ne m’appartient pas, bien que ce soit la seule que « j’aie » à ma disposition (et encore !). L’expérience de la langue, bien sûr, est vitale. Mortelle, donc, rien d’original à cela […].

Et de même que j’aime la vie, et ma vie, j’aime ce qui m’a constitué, et dont l’élément même est la langue, cette langue française qui est la seule langue qu’on m’a appris à cultiver, la seule aussi dont je puisse me dire plus ou moins responsable.

Voilà pourquoi il y a dans mon écriture une façon, je ne dirais pas perverse, mais un peu violente, de traiter cette langue. Par amour. L’amour en général passe par l’amour de la langue, qui n’est ni nationaliste ni conservateur, mais qui exige des preuves. Et des épreuves. On ne fait pas n’importe quoi avec la langue, elle nous préexiste, elle nous survit. Si l’on affecte la langue de quelque chose, il faut le faire de façon raffinée, en respectant dans l’irrespect sa loi secrète. C’est ça, la fidélité infidèle : quand je violente la langue française, je le fais avec le respect raffiné de ce que je crois être une injonction de cette langue, dans sa vie, son évolution. Je ne lis pas sans sourire, parfois avec mépris, ceux qui croient violer, sans amour, justement, l’orthographe ou la syntaxe « classiques » d’une langue française, avec de petits airs de puceaux à éjaculation précoce, alors que la grande langue française, plus intouchable que jamais, les regarde faire en attendant le prochain. Je décris cette scène ridicule de façon un peu cruelle dans La Carte postale (Flammarion, 1980). »

– Cette déclaration d’amour à ce qui « m’a constitué » est un geste qui fait exactement le contraire que la déconstruction, qui est ou bien une méfiance implacable envers ce qui « m’a constitué » – si tu préfères, de ce « qui nous a constitué », en commençant par la langue – ou qui n’est rien. Tu donnes une longue citation, mais pour respecter le contexte, il faut penser que c’est un homme malade qui fait cette déclaration, qui annonce presque son agonie. Par conséquent, je ne sais pas s’il faut donner autant d’importance à la déclaration d’amour à ce qui « m’a constitué » de la part de qui se sait gravement malade. Mais la déclaration d’amour à la langue française, frisant le roman à l’eau de rose, est déjà présente dans Le monolinguisme de l’autre. Nous pouvons également retourner cette déclaration, et la voir comme une façon de se montrer faible devant l’implacable monolinguisme de cette langue, de cette culture française, de la part de qui, en fin de compte, se sent étrange, étranger. Lévinas a fait des déclarations d’amour, non pas à la langue, mais à la pire politique française. Déclarations de colonisé heureux, d’esclave reconnaissant ? En tout cas, des confessions implicites d’un déracinement profond et d’une certaine crainte envers ce que nous nommons à bon escient aliénation, mais l’aliénation ici serait celle de celui qui, malgré tout, mais aussi par faiblesse, et pour fouler un terrain toujours chancelant, déclare son amour au colonisateur, au Seigneur. Finalement, déclarer son amour à une langue est un acte de reconnaissance d’une aliénation : c’est dire que cette langue, la seule que tu parles, dans le plus surprenant des cas, n’est pas la tienne.

– Il est étrange qu’au moment de reconnaître la versatilité ou la différence du texte de Derrida avec la machine déconstructive à laquelle son nom est associé, tu décides, qu’en définitive, ce n’est rien de plus qu’une preuve de sénilité. Dans ce texte, dans cette phrase –mais je ne tarderais pas à en trouver d’autres– Derrida est moins derridien que les derridiens. Et moi, c’est ce qui m’intéresse. Les moines et les nonnes derridiens ont, à coup sûr, été interloqués en la lisant (« le Maître délire, le Corps même de la Loi lui est infidèle ! »). Je crois qu’en réduisant cet écart, cette différence, cette preuve de liberté radicale, à une erreur, à une incohérence attribuable à un manque d’énergie ou à la finitude même des capacités de tout être humain, tu passes à côté d’un trait important de la pensée derridienne, et même de la philosophie elle-même. Derrida était moins derridien que les derridiens, de même que Marx, par exemple, était moins marxiste que les marxistes. Sans cette capacité d’infidélité, ni Derrida n’aurait pensé quelque chose de plus ou autrement que ses prédécesseurs, ni Marx n’aurait déplacé la philosophie comme il l’a fait. Que Derrida se montre ici infidèle à la déconstruction ne signifie pas que Derrida dise n’importe quoi, cela signifie que la déconstruction et la pensée de Jacques Derrida ne sont pas exactement la même chose. Le problème de la pensée de Jacques Derrida ne pouvait pas être celui de rester fidèle à la déconstruction, d’essayer de s’y accoupler indéfiniment et de se flageller à chaque faux pas, à chaque pas à côté ou en dehors de la discipline déconstructive. Ce problème n’est pas un problème de penseur, mais de fonctionnaire, de fonctionnaire de la déconstruction. Le problème de Jacques Derrida était plutôt celui d’être fidèle à la pensée, raison pour laquelle il fallait rester fidèle de façon intransigeante et rigoureuse à la liberté sans conditions de la pensée elle-même, une force de questionnement qui, le cas échéant, ne pouvait qu’aller au-delà de la déconstruction elle-même.

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[1] Cette parenthèse dans le texte original est une note en bas de page.


Source Image : Jacques Derrida, El monolingüisme de l’altre, trad. Felip Martí-Jufresa et Antoni Mora, Barcelona: Universitat de Barcelona, 2017


FELIP MARTÍ-JUFRESA et ANTONI MORA – Postfaci Polifònic a El Monolingüisme de l’altre

Felip MARTÍ-JUFRESA et ANTONI MORA , « Postfaci Polifònic a El Monolingüisme de l’altre », Traduire Derrida aujourd’hui, revue ITER Nº2, 2020.

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Aquest text va ser escrit per acompanyar la traducció catalana del llibre de Jacques Derrida El monolingüisme de l’altre (Barcelona, Universitat de Barcelona, 2017). Però Éditions Galilée negà els drets a la traducció si s’hi inseria cap altre escrit, de manera que va quedar inèdit. Aquí se n’ofereix una versió reduïda, traduïda del català.

«Si bé és cert que hi ha (en la llengua xinesa) un caràcter d’escriptura que indica a la vegada home i dos, és fàcil de reconèixer en l’home aquell que és sempre si mateix i l’altre, la dualitat feliç del diàleg i la possibilitat de la comunicació. Però és menys fàcil, més important potser, de pensar home, és a dir també dos, com la distància [écart] a la qual manca la unitat.»

Maurice Blanchot (Le pas au-delà)

EL CONCEPTE DE PROPIETAT

Caldria començar, al meu parer i si t’hi avens, encarant el concepte mateix de propietat.

Que la llengua no és objecte de propietat vol dir abans de qualsevol altra cosa el següent: que no és objecte de compra-venta, que no pot ser una mercaderia. Entenguem-nos: la llengua com a tal. Que no tinc cap llengua, que no puc dir que cap llengua sigui la meva, vol dir que la llengua no és una mercaderia. Puc convertir els meus coneixements de qualsevol llengua en mercaderia, evidentment: hi ha un mercat de llengües com hi ha un mercat de llengües de vaca. Però no puc comprar (ni vendre, és clar) cap llengua com a tal i demanar un lloguer, per exemple, a tot aquell que la vulgui utilitzar, prohibir-ne l’ús a tot aquell que no pugui o vulgui pagar el preu fixat o atacar en justícia els morosos.

No puc evitar les suors i el neguit en pensar que això pugui esdevenir real algun dia.

T’ho imagines –«imagina-te’l, figura’t algú que posseís el francès. El que se’n diu el francès»…– t’imagines el malson, duria per títol La privatització de les llengües.

Imagino, retrospectivament, fins a quin punt la privatització de la terra que vivim, per exemple, va poder aparèixer com un malson comparable als ulls i les orelles de col·lectius humans difunts.

Les llengües tindrien, doncs, efectivament, un propietari (o un conjunt de propietaris, els accionistes d’una llengua…). Algú podria dir, literalment, sense metàfores, ni violències conceptuals de cap ordre, «Hola, bona tarda, et presento la meva llengua. T’agrada? Et faria servei? Doncs si vols saludar-me o enviar-me a pastar fang en la meva llengua, m’hauràs de pagar un tant per paraula o llogar tota la llengua per un cert lapse de temps. Haig de dir-li que la segona opció li resultarà més econòmica. Miri, aquest mes tinc unes ofertes increïbles: pel mateix preu del lloguer de la llengua en horari nocturn, li regalem una hora d’utilització en hora punta, de 9 a 10 del matí o de 6 a 7 de la tarda», o encara «Aquesta és la meva llengua. Sí, sí, aquesta, aquesta amb la qual li dirigeixo ara la paraula. I si vol utilitzar-la… haurà de passar per caixa, per La Caixa, per ser encara més exactes». La Caixa de Pensions, per exemple, s’hauria apropiat el català –recordes aquella vella història de l’acumulació originària de capital? Sí, home sí, allò que explica aquell senyor de la barba grisa, segons qui tot capital es fonamenta d’una manera o altre en un acte d’apropiació pura i dura, externa al funcionament del mercat mateix segons les regles del qual aquest capital pretén després regir-se i legitimar-se…–, La Caixa de Pensions s’hauria apropiat el català, deia –quin mal negoci, per cert–, i li llogaríem l’ús de la llengua amb contractes mensuals o per paraula emprada. Hi hauria inspectors de llengua equipats amb les tecnologies de tele-control més sofisticades que en sentir parlar català a un parlant sospitós d’estar utilitzant la llengua de gorres, podria demanar-li o tele-demanar-li legalment els papers o la targeta que acreditaria el pagament actualitzat del lloguer.

Podríem, però, introduir una versió menys monopolista d’aquesta ficció, més comparable així a allò que hem fet amb la terra, per exemple. En aquesta versió la mercaderia-llengua hauria estat dividida en moltes parts i posades al mercat com a tals. No caldria ser propietari d’una llengua sencera, hom podria tenir en propietat només els adjectius o part dels adjectius, els adverbis, unes quantes preposicions, els noms o, evidentment, els verbs que suposo que seria una de les parcel·les més ben valorades i més buscades. I hi hauria moltes baralles, molts conflictes entre propietaris per decidir si aquest verb nominalitzat és meu o és teu, o si aquest participi passat és ja només un adjectiu o no, molta jurisprudència i fins i tot una branca del dret mateix. El curs de les diferents empreses propietàries dels conjunts o subconjunts lingüístics es podria seguir a la borsa, i un bon dia hom es llevaria i escoltaria a la ràdio o llegiria a Internet que els adjectius s’han enfonsat i que corre gent desesperada pels carrers pensant que tot s’ensorra.

Suposo que aquells que es dediquen més sovint, i per tant més destrament, a la creació de ficcions, a aquestes ficcions que anomenem precisament de ciència-ficció, ja deuen haver donat corda a aquesta possibilitat i construït tot tipus de guions, arguments i escenaris al seu voltant. Si en conegués alguna, m’hi referiria gustosament. Si en coneixes alguna, no dubtis a dir-m’ho. Derrida, pel que jo sé, no fa referència a aquesta possibilitat fins avui mai efectuada, posada en pràctica, que jo sàpiga, per cap col·lectiu humà. Per ara, la llengua (o algun dels seus components), com a tal, no pot ser meva, ni teva, ni seva, no és de ningú, no cal pagar a ningú els drets d’utilització, tothom hi entra i en surt, en aquest sentit, amb total llibertat. Això no vol dir, com ja he dit, que per entrar-hi, per aprendre a entrar-hi, a les portes (difícilment comptabilitzables) de cada llengua, no s’hagi organitzat un mercat (abundant per a algunes, indigent per a la majoria d’altres) que permet a força gent, com se sol dir, “guanyar-se la vida”.

Però Derrida, de tot això, no en parla. Quan esmerça esforços per pensar i exposar per què no podem dir amb propietat que una llengua ens pertany, no està pensant en aquesta propietat, en el concepte modern per excel·lència de propietat, el més lligat a la metafísica que pressuposa la físico-matemàtica, l’economia i el dret moderns.

Tampoc no pot estar pensant en el concepte de propietat lligat al simple ús que fem de les coses, a aquell «valor d’ús» del qual parlava Karl Marx, perquè aleshores les seves reflexions no tindrien cap sentit. Si estigués dient que no podem dir amb propietat «aquesta llengua és la meva llengua», pressuposant un sentit de propietat anàleg al que pressuposem quan diem, per exemple, tornant del lavabo en un bar «aquesta cadira és la meva», o en un sopar més o menys multitudinari «perdona, però aquest got és el meu», aleshores no tindria cap sentit que digués que la llengua francesa no era la seva, ja que, alhora, ens diu que no n’emprava, bàsicament, cap altra.

Et segueixo, sí, vull dir que d’acord, però… Em quedo amb aquest últims exemples que em poses, tan gràfics. En un bar, torno a la “nostra” taula i m’assec novament en aquesta cadira que (no) és la meva, i a un contertulià li dic ep, que aquest (no) és el meu got. Després sortirem tots plegats del bar sense endur-nos ni la cadira ni el got que hem emprat. La llengua, com a tal, no és de ningú. Quan ets jove, gaudeixes, gairebé sense adonar-te’n, parlant amb uns girs i uns mots que els “teus” grans no fan servir, però a mesura que ets tu qui et fas gran veus com són els més joves que empren uns mots i uns girs que entens perfectament però que tu no uses. Si t’estàs convertint en un vell malcarat remugaràs que aquest jovent l’està fent malbé, aquesta llengua que només tens i que no és la teva.

En suma, el concepte de propietat alhora pressuposat i qüestionat pel motiu que obre i organitza El monolingüisme de l’altre (“només tinc una llengua, però no és pas la meva”) no és ni el sentit jurídicoeconòmic lligat a la invenció de la propietat privada (meu és allò que puc vendre legalment), ni el concepte merament instrumental lligat a l’ús, a l’habitud, al costum de fer això o allò amb això o allò i al saber que aquest ús suposa.

Per poder dir que tot i el seu domini evident de la llengua francesa, aquesta llengua no és la seva, Derrida ha d’estar donant el seu vist-i-plau a un concepte de propietat que després mirarà de rebutjar. Si del que es tracta és de desfer aquest concepte de propietat, i desfent-lo desfer-se’n, no hauria estat molt més efectiu dir precisament que aquella llengua era la seva llengua tot i no ser «la seva»? No hagués estat molt més eficaç això, ja que, com diu la bona tradició dialèctica i ens recorda Rubert de Ventós, «només se supera allò que se supleix»? No hagués estat aquesta una manera de posar ja en marxa un concepte alterat de propietat? Per què Derrida se sent obligat a concedir a aquest concepte de propietat tant de pes, tanta realitat?

Per avançar en aquesta direcció, la pregunta que ens hauríem de fer hauria de ser més aviat la següent: quin fenomen compleix els requisits del concepte de propietat que Derrida pressuposa i rebutja en la seva relació a la llengua francesa? Amb quin tipus de coses Derrida establia aquesta relació de propietat que només podia establir negativament amb la (no)seva llengua? Si establir aquesta relació amb la llengua està, sempre, fora de lloc, tot i constituir-ne negativament, sempre, l’experiència, aleshores amb què Derrida hagués concedit la justesa o l’adequació d’aquesta relació? Sabem què en pensava o què n’hagués hagut de pensar de l’expressió «la meva vida», seguint la lògica del Monolingüisme de l’altre?

Què n’hauria pensat Derrida de la següent frase amarada de tautologia de Lluís Maria Xirinacs: «La meva vida és meva»? Hauríem d’oposar a aquesta declaració de propietat una mena de frase que miraria de clonar la frase inaugural del discurs del llibre que hem traduït? Podria ser quelcom com ara: “Sí, només tinc una vida, ara bé, no és la meva” o, una mica més variada, “La meva vida no és meva, tot i ser l’única que tinc”. Ens pot donar la relació de cadascú a la vida un model per pensar el concepte de propietat que pressuposa negativament Derrida en la seva experiència de la llengua en general? O hem de pensar, més aviat, que l’experiència derridiana de la llengua és un model de vida, una manera de viure la relació a qualsevol cosa i que, per tant, res, cap contingut d’experiència pot ser pròpiament anomenat meu, seguint la lògica del Monolingüisme de l’altre? L’experiència de la llengua en general que proposa Derrida seria, aleshores, un model per l’experiència en general, per pensar una experiència de l’experiència en general. Quin nom i quina tradició tindria aquesta experiència de l’experiència?

No se n’hi va dir theoria d’aquesta manera d’heure-se-les amb qualsevol cosa i ironia o escepticisme a “l’exercici espiritual”, al mètode o camí per assolir aquesta posició o postura?

Escolta què en diu Vincent Descombes de l’escepticisme (Le raisonnement de l’ours, Seuil, Paris, 2007, p. 75):

A les classes de filosofia hom es representa alegrament l’escepticisme com una teoria del coneixement. Tanmateix, històricament, els pensadors escèptics no es mostren tant preocupats per arribar a certituds cognoscitives sinó més aviat per alliberar-se de tota dependència exterior. […] Reduir tota cosa a una aparença és, pel filòsof escèptic, una manera de conquerir una posició de desarrelament [détachement]. La fita profunda és gaudir de la llibertat d’algú que no se sent concernit per coses insignificants.”

I una mica més tard (p. 77) continua així:

Tanmateix, el personatge escèptic que trobem en les pàgines dels filòsofs, en general, no és aquest heroi ascètic de la moral eremítica, sinó més aviat una criatura de ficció que rep l’encàrrec d’un filòsof racionalista de formular el repte escèptic amb una finalitat purament metodològica, de tal manera que es pugui desempallegar de totes les seves opinions mal garantides, de tots els seus prejudicis. Es tracta per ell de practicar el dubte en vistes a atènyer un fonament inamovible. El repte escèptic és un repte que el racionalista es llança a ell mateix per atènyer una posició radical.”

Jo crec que aquest “desarrelament” i aquest “desempallegament” com a eina o via emprada pel filòsof racionalista “per atènyer una posició radical” ens dóna una molt bona pista per entendre el gest derridià que travessa no només aquest escrit que hem traduït, sinó la seva manera de pensar, en això perfectament clàssica. Com bé diu Derrida, la seva peculiar relació amb l’única llengua que va parlar correntment i amb la qual es parlava a si mateix esdevé, gràcies al fet de viure aquesta relació com una sort i no com una desgràcia (un fet que no va saber explicar-se mai del tot, segons ens diu Derrida mateix), el model per mirar de desempallegar-se d’aquella mena de relació amb la llengua en general que la seva experiència mateixa de la llengua pressuposa i que anomena propietat. El que afirmo és que aquesta relació esdevé el model per mirar de desempallegar-se de tot un mode de ser, de tota una manera de heure-se-les amb les coses, amb els fenòmens, amb la presència en general.

Per què no ens divertim una estona multiplicant la frase-tema –per dir-ho en termes musicals– del llibre traduït canviant només el contingut d’experiència a veure si la cosa rutlla, a veure si podem pensar aquesta experiència de la llengua com a experiència de l’experiència en general?

Som-hi, doncs, a veure on ens porten totes aquestes variacions del tema.

La primera variació ja l’hem composta unes línies més amunt. Continuem? “Només tinc una casa, ara bé, no és la meva”; “només tinc un amic, ara bé, no és el meu”; “només formo part d’una espècie animal, ara bé, no és la meva”; “només tinc un gos, ara bé, no és el meu”; “només tinc un país, ara bé, no és el meu”.

—“Només he escrit un llibre, ara bé, no és el meu”; “només tinc un fill, ara bé, no és el meu”; “només tinc una feina, ara bé, no és la meva”; “només tinc una mare, ara bé, no és la meva”; “només tinc un cos, ara bé, no és el meu”, etc.

L’estructura de l’experiència diria “només tinc un…, ara bé, no és el meu”. Però, en el fons, diria que la primera premissa no cal, no és del tot rellevant, o es pot generalitzar encara més. El fet que allò que es digui tenir, posseir, a què es digui pertànyer, sigui únic només augmenta el grau de paradoxalitat del lema, fa que sorprengui més, però, ben mirat, el sentit de la frase de Derrida seguiria sent el mateix si en comptes de dir “només tinc una llengua”, digués “tinc 173 llengües, ara bé, no són les meves” o, com suggereix ell mateix, “tinc totes les llengües hagudes i per haver, ara bé, no són les meves”; o encara, “tinc totes les vides hagudes i per haver, ara bé, cap d’elles és la meva”. L’estructura de l’experiència en qüestió s’hauria, doncs, de verbalitzar més aviat de la següent manera: “tinc…, ara bé, no és el meu”. O encara més refinadament: “tinc…, ara bé, no és meu”.

Tot sembla apuntar cap a la idea d’exercici. Diria que el gest que governa aquest llibre és un exercici filosòfic, el sentit del qual no és epistemològic, sinó propedèutic. Més que un contingut conceptual, el que Derrida ens lliura és un model d’ètica fenomenològica, un model de gimnàstica per desempallegar-nos de certa manera de relacionar-nos amb les coses, de fer-les aparèixer, una manera de viure les coses tal que aquestes queden categoritzades segons un ordre de pertinença, des de graus màxims a graus mínims, del “només-meu” al “gens-meu”. El sentit d’aquest discurs seria, doncs, performatiu, com es diu; seria l’exercici necessari, però insuficient, per tal d’establir una nova mena de relació amb el que passa i ens passa, amb el que em constitueix. No es tractaria d’enviar a dida les llengües, els altres, la vida, els gossos, les cases, els amants, els fills, les mares, els països, la humanitat o l’ésser mateix. Es tractaria de fer-s’hi altrament, de modificar la nostra manera de ser amb el ser, d’estar en el ser, de modificar la nostra arxiposició. I un cop assolida aquesta posició, això hauria d’implicar l’invent d’una altra manera de fer les coses, d’una altra política, en definitiva, d’una altra manera de viure…

—“Psicologitzar” Derrida? És aquesta la nostra lectura?

Més aviat Apprendre à vivre enfin… Aprendre finalment a viure. Ves per on, quin projecte filosòfic més clàssic. Escolta aquest text, per exemple, hi parla del que pretenia fer en el llibre que hem traduït. El trec de De quoi demain… (Fayard/Galilée, 2OO1, p. 155):

«Com trobar el bon límit entre la reafirmació de la nació –no tinc res contra aquest terme–, i el nacionalisme, que és una forma molt moderna del combat per la supervivència, i àdhuc l’expansió de l’Estat-nació? El nacionalisme, avui, sempre és un Estat-nacionalisme, una reivindicació zelosa, és a dir gelosa, venjativa, per a una nació constituïda en Estat sobirà. Les dificultats comencen aquí, però no estic segur que un nacionalisme no operi ja, per discret que sigui, en el llindar mateix de la més simpàtica consciència nacional, de la més innocent afirmació de pertinença a tal o qual comunitat nacional, cultural, lingüística. D’aquí la dificultat de fugir del nacionalisme. Però, se n’ha de fugir? No l’hauríem, més aviat, com estaria temptat de pensar i com he intentat de dir-ho enjondre (especialment a L’autre cap i a Le monolingüisme de l’autre)[1], de dirigir vers una altra experiència de la pertinença i una altra lògica política?»

No t’amoïnis, ni m’amoïnis: no tinc cap ganes de parlar de nacionalisme. És més, et prego que no ho fem. Imagino molt bé la mena de lector que ja ha obert aquest llibre i ha començat a llegir aquest prefaci pensant que només hi trobaria disquisicions de “nacionalistes catalans”, com diuen despectivament. No els hi donaré aquest plaer.

Es tracta només aquí de recollir l’estructura del gest que fa Derrida i veure com el lloc que en aquest text ocupa el nacionalisme, en d’altres texts l’ocupen molts altres conceptes: hospitalitat, perdó, raó, messianisme, democràcia, sobirania, psicoanàlisi… La recurrència obsessiva de l’adjectiu altre en la seva obra, sobretot a partir d’un cert moment, no és índex d’una altra cosa. És el nom o la traça d’aquest esforç, d’aquesta voluntat de migració conceptual, el qual pressuposa un exili conceptual previ. Aquest exili és la suspensió del saber en el qual hom es trobava instal·lat, és a dir, el “desarrelament” del qual parlàvem abans arran del text de Descombes, el qual pren en Derrida la forma de les frases que he assenyalat anteriorment. Derrida acostuma a començar el seu pensament barrejant les cartes, desfent les diferències establertes (“la tradició diu que X és A i Y és B, però com podeu observar X també és B i Y també és A”). Ara bé, aquest gest, a la base de tots els crits dels seus detractors que només veuen en el seu pensament aquest moment introductori (que només llegeixen les primeres pàgines?) i que per això l’acusen de barrejar-ho tot, d’enterbolir l’enteniment en comptes d’ajudar-nos a veure-hi més clar, aquest gest, dic, és sempre només el pas previ, el gest inaugural que li permet posar-se en situació d’exili (“desterritorialitzar-se”, dirien els deleuzians) per tal de posar-se a caminar vers aquell altre concepte de X o Y en el qual desitjaria poder reinstal·lar el pensament (els deleuzians ara haurien dit “reterritorialitzar”).

En aquest sentit hauríem de comentar la recepció derridiana d’un dels trets del concepte d’existència heideggerià més estretament lligats a aquesta qüestió de la propietat i l’apropiació. Em refereixo a aquella famosa Jemeinigkeit que podem mirar de traduir provisionalment per l’en-cada-cas-mevitat de l’existència. Ho dic perquè, tot i que la frase de Xirinacs crec que va en aquesta direcció, el concepte de vida ens dirigeix precisament vers aquell aspecte de l’existència que no és en cada cas meu, sinó de tot allò que viu, de tota cuca viva. Crec que acabaríem de demostrar que el gest que Derrida fa en aquest text és practicable tant a la llengua com a qualsevol altre cosa, si mostréssim com el podem fer respecte a aquell aspecte de l’existència més rabiosament lligat a aquest concepte de propietat, a allò que no només és meu, sinó que només pot ser meu i de ningú més. L’en-cada-cas-mevitat de l’existència implica el concepte més hiperbòlic de propietat que podem pensar. Car l’existència és l’aspecte o la dimensió essencialment incol·lectivitzable de l’ésser: el nom de la singularitat de l’ésser.

Si la memòria no em falla, em sembla que això que demanes ho trobaràs en un text que Derrida va publicar gairebé al mateix temps que El monolingüisme de l’altre, nou mesos abans, cosa que ja podries interpretar com un indici que tendiria a confirmar la teva tesi. El text es diu Apories i fou pronunciat primerament com a conferència el 15 de Juliol de 1992, és a dir, tres mesos després de la primera versió oral de El monolingüisme de l’altre. Escolta com presenta el tema de la conferència al començament del text (Apories, Galilée, 1996, p. 18-19):

«Es tracta, doncs, de pensar el principi mateix de la gelosia com a passió primitiva de la propietat i com a cura del propi, de la pròpia possibilitat, per a cadascú, de la seva existència. De l’única cosa de la qual podem testimoniar. Com si d’entrada es pogués estar –o no estar– gelós de si mateix, fins a morir-ne. Hi hauria, doncs, segons Sèneca una propietat, un dret de propietat sobre la seva pròpia vida. La frontera (finis) d’aquesta propietat seria més essencial, més originària i més pròpia, en suma, que les de qualsevol altre territori al món.»

Si del que es tracta és de desarrelar-se, de desempallegar-se d’aquest concepte de propietat que duríem enganxat a la nostra experiència com si fos un concepte-xiclet transcendental, aleshores els primers i últims esforços, la roca dura que haurem de picar, els haurem de dirigir contra aquesta relació hiperbòlica de propietat que tendim a tenir cadascú amb si mateix. En aquest sentit, convindràs amb mi, l’esforç que haurem de desplegar per acceptar com a virtut l’alteritat de la llengua pròpia serà un joc de nens comparat amb l’esforç que haurem de desplegar per acceptar com a virtut l’alteritat de l’existència pròpia. Haurem, per cert, de fer prova d’especial honestedat intel·lectual quan es tracti de posar sobre la taula tots els fenòmens lligats a la vivència rabiosa i gelosa d’aquesta propietat hiperbòlica de l’existència, seguint el model de la relació d’apropiació indeguda de la llengua dita pròpia.

Deixa’m que faci ara referència, molt breument, a un text de Rosa Luxemburg que ens obligaria a pensar el tema del llibre des d’unes coordenades diferents, però al meu parer benvingudes. Si del que es tracta és de saber pensar amb justesa i justícia aquesta, per a nosaltres (membres ben amarats d’ideologia liberal d’una societat capitalista), estranya col·lectivitat de la llengua, no ens hauria d’estranyar que hàgim de pensar alhora la relació d’aquesta col·lectivitat amb la vella qüestió de la propietat col·lectiva de la terra. Si tinguéssim més temps, ens hauríem de tornar a endinsar en aquest vell terreny fangós i empantanegat, camp de les pitjors associacions. Perquè, si no ens hi endinséssim, el risc que correríem segur que seria el més perillós de tots. ¿Des d’on podem pensar avui una relació amb les coses altra que la relació de propietat, sinó des de la relació de (no)propietat que defineix encara avui la nostra relació amb les llengües? Potser si sabéssim pensar bé aquesta relació, podríem pensar una altra manera de relacionar-nos els uns amb els altres i els uns amb les coses. Del sentit que siguem capaços de donar a aquesta propietat col·lectiva, un sintagma que –com deia Derrida d’un altre sintagma, sobirania condicional– ja desconstrueix el concepte de propietat, podria dependre’n, simplement, la possibilitat per a l’espècie humana de viure. Escoltem aquest text (Rosa Luxemburg, Introduction à l’économie politique, Smolny, Toulouse, 2008, p. 201) i deixem-ho córrer:

Quan el 1873, a l’Assemblea nacional francesa, es decidí el destí dels pobres àrabs d’Algèria mitjançant una llei que instaurava per la força la propietat privada, no s’hi cessà de repetir, en aquesta Assemblea on retrunyia encara la covardia i la fúria mortífera dels guanyadors de la Commune, que la propietat comuna primitiva dels Àrabs havia de ser destruïda a qualsevol preu “com a forma que alimenta en els esperits les tendències comunistes”

Trobo, si més no curiós, que Derrida no faci referència a aquesta llei en el seu text. Entre aquesta llei i el decret Crémieux només hi ha tres anys de diferència, i la Comuna de París entremig: 1870, 1871 i 1873. En fi, deixem-ho per un altre dia…

ADDENDA: DE LA LINGUFILIA

No trobes que ens caldria ara qüestionar l’obvietat d’aquest amor vers la llengua. No té un costat estrany això, d’on ve aquesta lingufilia, aquesta filo-logia? Què dimonis estem dient quan diem que ens estimem una llengua? Quin sentit pot voler tenir aquest amor? D’on ve aquest desig d’estimar una llengua, de sentir amor per una llengua si no és una forma de narcisisme per element o objecte interposat? Què és el que estem estimant exactament? I no trobes que el mestre de la sospita, el valent i coratjós desconstructor fa figa en aquest punt, que no qüestiona prou totes aquestes declaracions d’amor que fa a la llengua francesa? En l’última entrevista que va concedir abans de morir, i que van publicar pòstumament amb l’estrany títol Aprendre a viure finalment (Galilée, 2005), Derrida torna a declarar-se líricament a la llengua francesa, i ens dóna alguna pista per mirar de respondre a aquesta qüestió. Escoltem la seva resposta a la pregunta de Jean Birnbaum:

«—En El monolingüisme de l’altre (Galilée, 1996), arriba a presentar-se, irònicament, com el « darrer defensor i il·lustrador de la llengua francesa »…

—Que no em pertany, tot i que sigui l’única que « tingui » a la meva disposició (i encara!). L’experiència de la llengua, certament, és vital. Mortal, doncs, res d’original en això. […]

I de la mateixa manera que estimo la vida, i la meva vida, estimo allò que m’ha constituït, l’element mateix del qual és la llengua, aquesta llengua francesa que és l’única llengua que em van aprendre a cultivar, l’única també de la qual em pugui dir més o menys responsable.

Vet aquí per què hi ha en la meva escriptura una manera, no diré perversa, però sí una mica violenta, de tractar la llengua. Per amor. L’amor en general passa per l’amor de la llengua, que no és ni nacionalista ni conservador, però que demana proves [preuves]. I passar proves [épreuves]. No es fa el què a un li dóna la gana amb la llengua, aquesta ens preexisteix i ens sobreviu. Si s’afecta la llengua d’alguna cosa, s’ha de fer de manera refinada, respectant irrespectuosament la seva llei secreta. És això, la fidelitat infidel: quan violento la llengua, ho faig amb respecte refinat, creient respondre així a una injunció de la llengua mateixa, lligada a la seva vida, a la seva evolució. No llegeixo sense somriure, i de vegades amb menyspreu, aquells que creuen violar, sense amor, precisament, l’ortografia o la sintaxi « clàssiques » d’una llengua francesa, amb cara de donzells amb ejaculació precoç, mentre la gran llengua francesa, més intocable que mai, se’ls mira esperant el següent. Descric aquesta escena ridícula de manera una mica cruel a La carta postal (Flammarion, 1980).»

Evidentment, aquesta declaració d’amor a allò que “m’ha constituït” és un gest que fa exactament el contrari que la desconstrucció, que o és una malfiança implacable d’allò que “m’ha constituït” –si vols: d’allò que “ens ha constituït”, començant per la llengua– o no és res. Fas una cita llarga, però per ser justos amb el context, cal pensar que això ho declara un home malalt, que gairebé anuncia la seva agonia. Llavors, no sé si se li ha de tenir tant en compte, la declaració d’amor a allò que “m’ha constituït” per part de qui se sap greument malalt. Però la declaració d’amor a la llengua francesa, vorejant la novel·la rosa, ja la tenim a El monolingüisme de l’altre! També es pot capgirar el sentit d’aquesta declaració, i veure-la com una manera de mostrar-se feble davant l’implacable monolingüisme, per part de qui, al cap i a la fi, se sent estrany, estranger, d’aquesta llengua, d’aquesta cultura francesa. Lévinas va fer declaracions amoroses no ja a la llengua, sinó a la pitjor política francesa. ¿Declaracions de colonitzat feliç, d’esclau agraït? En tot cas, confessions implícites d’un desarrelament profund i de cert temor a això que molt bé en diem alienació, però l’alienació aquí seria la de qui, malgrat tot, però també per feblesa, i per trepitjar un terreny sempre insegur, declara l’amor al colonitzador, al Senyor. Finalment, declarar l’amor a una llengua és un acte de reconeixement d’alienació: és dir que aquesta llengua, en el més sobtant dels casos l’única que parles, no és la teva.

És estrany que en el moment de reconèixer la versatilitat o la diferència del text de Derrida amb la màquina desconstructiva a la qual s’ha associat el seu nom, decideixis que tot plegat no és res més que una mostra de senilitat. En aquest text, en aquesta frase –però no tardaré massa a convocar-ne d’altres– Derrida és menys derridià que els derridians. I aquí és on a mi m’interessa. Els monjos i les monges derridianes segur que es van posar les mans al cap en llegir-la (“El Mestre desbarra, el Cos mateix de la Llei hi esdevé infidel!”). Crec que si redueixes aquest écart, aquesta diferència, aquesta mostra de radical llibertat a un error, a una incoherència atribuïble a una manca d’energia o a la finitud mateixa de les capacitats de qualsevol ésser humà, passaràs al costat d’un tret important del pensament derridià, i àdhuc de la filosofia mateixa. Derrida era menys derridià que els derridians, de la mateixa manera que Marx, per exemple, fou menys marxista que els marxistes. Sense aquesta capacitat d’infidelitat, ni Derrida hagués pensat res més o altrament que els seus predecessors, ni Marx hagués desplaçat la filosofia com la va desplaçar. Que Derrida sembli ser aquí infidel a la desconstrucció, no vol dir que Derrida desbarri, vol dir que la desconstrucció i el pensament de Jacques Derrida no són exactament la mateixa cosa. El problema del pensament de Jacques Derrida no podia ser ser fidel a la desconstrucció, mirar d’acoblar-s’hi infinitament i fustigar-se amb un xurriac cada vegada que cometés un pas en fals, un pas al costat o fora de la disciplina de la desconstrucció. Aquest problema no és un problema de pensador, sinó de funcionari, de funcionari de la desconstrucció. El problema de Jacques Derrida era més aviat ser fidel al pensament, per la qual cosa calia observar una intransigent i dràstica fidelitat a la llibertat sense condicions del pensament mateix, una força de qüestionament que, si s’esqueia, no podia més que anar més enllà de la desconstrucció mateixa.

[1] Aquest parèntesi en el text original és una nota a peu de pàgina.



Source Image : Jacques Derrida, El monolingüisme de l’altre, trad. Felip Martí-Jufresa et Antoni Mora, Barcelona: Universitat de Barcelona, 2017