Jean-Claude Monod, « La promesse de la sécularisation : puissance théorique et effet pragmatique d’un concept chargé d’histoire », L’à venir de la religion, revue ITER Nº1, 2018.
Entretien mené par Élise Lamy-Rested
Élise Lamy-Rested : Dans votre livre, La querelle de la sécularisation (Vrin, 2002), vous distinguez différents schémas de la sécularisation, concept dont le contenu doctrinal trouve ses racines dans les temps modernes même s’il ne fut isolé et pensé qu’à partir du XXème siècle : 1) la sécularisation-liquidation qui prétend pouvoir détruire l’héritage religieux pour initier de nouvelles formes de pensée, 2) la sécularisation-transfert qui soupçonne tous les concepts politiques de n’être rien d’autre que des concepts théologiques sécularisés, 3) la sécularisation-neutralisation, construite à partir de la sociologie de Max Weber et à laquelle vous vous intéressez plus particulièrement. Selon vous (et si je vous ai bien compris), la sécularisation-neutralisation serait le seul schéma théorique et pratique viable pour appréhender la sécularisation de nos sociétés occidentales contemporaines confrontées à ce qu’on appelle « le retour du religieux ». Pourriez-vous préciser ici ce que vous entendez par « sécularisation-neutralisation » et expliquer pourquoi vous défendez ce schéma de la sécularisation ?
Jean-Claude Monod : Avec ces distinctions, il s’agissait d’abord pour moi d’effectuer une clarification conceptuelle et terminologique : je m’apercevais en lisant Weber, Schmitt, Löwith, Blumenberg, mais aussi beaucoup de sociologues des religions que le mot « sécularisation » renvoyait à des processus très divers et recouvrait des significations parfois presque opposées, sans que cela ne soit clairement dit ni thématisé. Voyons ce que Blumenberg critique ironiquement comme « théorème de sécularisation », le « Y n’est rien d’autre que X sécularisé » qui a connu tant de variantes : « les philosophies du progrès ne sont qu’une sécularisation du messianisme », « les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État ne sont que des concepts théologiques sécularisés », par exemple la souveraineté, etc. On voit bien ici que ce qui est visé c’est l’idée 1) d’un « transfert », d’une métamorphose d’un contenu ou d’un schème théologique en schème sécularisé. En revanche que veut-on dire quand on dit que « la France est plus sécularisée que l’Allemagne » ? Que la place qu’occupe la religion dans la sphère publique est moins forte, que l’athéisme y est plus répandu, le nombre de pratiquants moins important, etc. Donc 2) une forme de perte d’influence des Églises (chrétiennes). J’ai d’abord voulu tirer au clair ces usages.
Ensuite, il y a votre question, plus normative : est-ce que défendais la sécularisation-neutralisation plutôt que la sécularisation-liquidation, et qu’est-ce que j’entendais dans le premier cas ? Une façon simple de répondre serait d’évoquer les projets, affichés par différents philosophes et politiques du XIXe siècle, d’en finir avec la religion, de l’extirper non seulement des institutions mais de la pensée et des cœurs, et même d’extirper ses « traces », ses restes sécularisés. Au plan philosophique, on trouve ce programme exprimé chez Nietzsche : « combat contre le christianisme latent » dans la morale, etc. Le problème, à mon sens, quel que soit le génie de Nietzsche et la dette philosophique que la pensée contemporaine a contractée à son égard, est qu’il y a là, potentiellement, un projet autoritaire, qui finit par tourner à la contre-religion mimétique, à la religion de substitution, et que la volonté d’extirper tout ce qui pouvait ressembler à un sentiment chrétien conduit très explicitement, chez Nietzsche mais aussi chez des auteurs plus « positivistes » comme Clémence Royer, à vouloir se débarrasser des « faibles », des « malades », des idéaux égalitaires, etc. Ce que j’appelle la sécularisation-neutralisation est une voie plus libérale, qui entend assurer la liberté de conscience en « neutralisant » la puissance publique de la religion, la tendance à en faire une obligation, une contrainte, entraînant au pire des persécutions et au mieux des inégalités, une répression séculière des hérésies, ou de l’athéisme ; la sécularisation-neutralisation empêche ces empiétements sur la liberté de conscience mais préserve tout à fait la possibilité de vivre sa foi comme on l’entend. C’est d’ailleurs la voie « laïque » telle que la défend Ferdinand Buisson, qui n’était pas du tout « anti-religieux » mais qui voulait que l’État soit « neutre entre tous les cultes », dépris de tout clergé, etc. À quoi s’opposa, dans les débats autour de la loi de 1905, une ligne « liquidatrice » qui voulait véritablement « détruire les Églises » (Maurice Allard, par exemple).
É. L.-R. : Dans Sécularisation et laïcité, PUF, 2007 publié peu après la loi sur les signes religieux à l’école (2004), vous analysez le lien entre la résurgence du concept de laïcité longtemps considéré comme un concept un peu désuet, et la crise de la sécularisation. Pourriez-vous éclairer ce lien entre sécularisation et laïcité ? Vous y défendez une « laïcité radicale » que l’on ne doit pas confondre avec un laïcisme et qui seule permettrait d’exercer une conscience critique. Pourriez-vous expliciter ce que vous entendez par « laïcité radicale » et si vous y voyez un « modèle » pour tous les pays membres de l’Europe à une heure où, je crois, on discute beaucoup de l’harmonisation de la laïcité en Europe ?
J.-C. M. : Le mouvement est plus général : dans les années 1960-70, on voit de grandes théories de la modernisation sociale qui identifient celle-ci à la sécularisation, vue comme un processus irréversible en voie de mondialisation. La surprise est venue à la fin des années 1970, avec la révolution iranienne et les différents processus qui ont conduit à parler d’un « retour du religieux » qui était, en fait, l’apparition de nouvelles formes de politisation ou de repolitisation de la religion, l’islamisme bien sûr, mais aussi certains néo-fondamentalismes chrétiens et juifs. Face à ces processus, et en particulier à l’islamisme en Europe, il y a eu un regain d’intérêt pour la laïcité, alors qu’on avait tendance à tenir celle-ci pour un acquis auquel on n’avait plus trop besoin de réfléchir, un héritage d’une IIIe République un peu daté. Éclairer le lien entre sécularisation et laïcité impliquerait de préciser en quel sens on entend ici sécularisation. Disons qu’au plan d’une histoire sémantique, la sécularisation a précédé la laïcité, et que les promoteurs de celle-ci la présentaient comme une sorte de réalisation juridico-politique – la séparation des Églises et de l’État – rendue possible par un processus social et historique de sécularisation – prise ici au sens 2) d’un déclin de l’influence sociale des religions. Ce déclin a été général en Europe après le Moyen Age, dans les pays d’Europe et aux États-Unis, on a plus ou moins désintriqué l’État et les religions – moins là où existe encore une Église d’État, par exemple ! Mais la liberté de religion est tout de même partout reconnue en Europe, le droit de changer de religion ou de n’en avoir aucune, etc. Il est donc légitime à mes yeux de présenter la laïcité comme une variante de la sécularisation occidentale-européenne, une variante plus poussée, poussée jusqu’à la conséquence de la séparation entre les Églises et l’État. Cette version de la sécularisation est-elle un modèle que tous les États doivent reprendre ? Ce n’est pas à un observateur d’en juger : il faut voir si les peuples s’emparent de la laïcité comme d’un instrument visant à assurer la liberté de conscience de tous et à refuser certains privilèges publics encore accordés à certaines Églises dans différents pays.
« Laïcité radicale » est une formule que je glissais dans la Conclusion à titre exploratoire : non pas le laïcisme ou l’extirpation autoritaire du religieux, mais une laïcité fondée sur l’égale liberté de conscience et qui doit à son tour éviter de basculer en une forme de religion ou du moins de doctrine d’État – une tentation qui n’a pas été étrangère à l’histoire de la République, si l’on pense au culte de l’être suprême, par exemple. Il s’agit aussi de lutter contre un détournement identitaire de la laïcité qui pose que l’islam comme tel est incompatible avec la République. Cependant cette laïcité radicale impose aussi, bien évidemment, de refuser toutes les tentatives plus ou moins ouvertes de limiter la liberté d’expression, de caricature et de pénaliser le blasphème au nom du « respect des religions ».
É. L.-R. : Toujours dans Sécularisation et laïcité paru aux PUF en 2007, vous défendez, d’un point de vue théorique, le port des signes religieux à l’école mais reconnaissez qu’ « on puisse justifier cette décision (l’interdiction du port des signes religieux) par d’autres raisons, momentanées et contingentes, tenant à des rapports de force ou à des motifs d’ordre public » (p. 131), ce qui permettra peut-être de mettre à l’épreuve votre concept de « laïcité radicale ». En tant qu’enseignante de philosophie dans l’académie de Créteil, je souhaiterais vous faire part de certains phénomènes que j’ai pu observer dans les lycées. Je suis pour ma part favorable à l’interdiction du port des signes religieux pour des raisons pragmatiques et non théoriques (et j’abandonne pour un temps mes habits de « derridienne », qui se doit de déconstruire l’opposition entre théorie et pratique – mais j’avoue que la réalité du terrain fait parfois, hélas, vaciller mes convictions philosophiques).
La première raison est la pression qu’exerce non pas l’administration ou les professeurs sur les élèves, mais bien les élèves sur l’ensemble de l’institution scolaire. Car le signe religieux, pour beaucoup d’élèves, est devenu en fait un vecteur de revendications politiques et sociales : ceux-ci cherchent à se rendre visibles socialement et politiquement dans la sphère publique via la religion. Or cette confusion, qui est historiquement datée (au début des années 80, ces revendications étaient encore préférentiellement politiques, et la question de la religion s’est massivement introduite dans les banlieues dans les années 90), est préoccupante, même si elle est vraisemblablement temporaire. Céder sur le port du signe religieux impliquerait certainement toute une cascade d’autres revendications – véritablement entendues dans les classes –, comme la modification des programmes scolaires, l’introduction de salles de prière et de repas certifiés purs dans les lycées publics, la fin de la mixité entre filles et garçons.
La deuxième raison est la pression sociale ou familiale exercée sur certains jeunes (et c’est beaucoup plus critique pour les jeunes filles), qui se voient forcés de porter des signes religieux ou de suivre une ligne de conduite religieuse sous peine d’être, au mieux, insultés, au pire harcelés voire même agressés. L’école publique représente alors un lieu de neutralisation certes temporaire et peu satisfaisant puisque le problème est en amont, mais néanmoins bien réel, de ces tensions.
La troisième raison est le renforcement du communautarisme – déjà très prégnant – que cela risque d’engendrer dans les écoles. Les élèves, qui connaissent l’appartenance religieuse des uns et des autres, puisqu’il est de plus en plus mal vu – il est vrai essentiellement dans les classes dites de « faible niveau » (filières technologiques et professionnelles) – de se déclarer athée, risquent de ne se rencontrer et de ne se juger qu’en fonction de leur appartenance religieuse.
Ne pensez-vous pas finalement que la « laïcité radicale » et l’exercice de l’esprit critique que vous défendez ne soient possibles que dans un climat social apaisé où tous les citoyens seraient, également, non seulement dégagés de toute pression sociale mais auraient aussi la capacité cognitive et langagière, d’exercer leur droit à la parole et à la pensée, ce qui est loin d’être le cas dans notre société ?
J.-C. M. : Pour répondre trop brièvement : je ne « défends pas le port des signes religieux à l’école », je montre simplement qu’on ne peut pas déduire l’exclusion des signes religieux ostentatoires pour les élèves des principes de la laïcité tels que je les ai reconstruits. Au demeurant, des philosophes de la laïcité qui s’étaient engagés dans ce combat, comme Catherine Kintzler, m’ont accordé ce point : ce n’est pas des principes énoncés par la loi de 1905 qu’on peut tirer l’interdiction des signes religieux pour les élèves ; ce serait, selon elle, d’après des principes nouveaux qui sont nés dans le contexte de la lutte contre l’islamisme même, dans les années 1990. Mais ces principes-là, contrairement à ceux de 1905, ne sont pas énoncés par la loi et je trouve problématique d’invoquer la laïcité de façon floue, non fondée sur des textes. Ensuite, on peut avancer des raisons pragmatiques, de trouble à l’ordre public, pour justifier cette interdiction, comme la circulaire de Jean Zay avait interdit les signes politiques renvoyant à des « factions » qui s’affrontaient dans la rue, en 1936. Mais il importe de distinguer les plans.
Je ne suis pas sûr de comprendre votre objection sur ma conception de la laïcité radicale qui impliquerait un climat social apaisé : l’acquisition de l’esprit critique me semble être une des tâches d’une école républicaine ou démocratique, quel que soit le climat social ; il est vrai que dans le sillage de Condorcet, j’aurais tendance à dire que la République elle-même, la Déclaration des droits de l’homme, etc., ne doivent pas être présentés comme des Tables de la loi tombées du Ciel, mais comme des réalisations humaines, qui ont pu avoir leurs limites, autrement dit : l’enseignement républicain doit pouvoir inclure une certaine distance critique à l’égard de la République telle qu’elle a été (dans son histoire coloniale, par exemple) et telle qu’elle est, dans son inachèvement en tant que « République sociale », par exemple. Cette distance doit sûrement elle-même éviter de verser dans les réductions haineuses qui ramènent l’histoire de la République à ses pages les moins glorieuses, qui prétendent que les colonies continuent dans nos banlieues et que l’État français est intrinsèquement raciste ou « islamophobe » ; elle n’empêche évidemment pas une défense des bienfaits des institutions républicaines, au contraire. Est-ce fragiliser l’idée républicaine et surestimer les capacités cognitives et réflexives des élèves que d’inclure cette distance critique ? Je crois plutôt que la meilleure défense de l’esprit républicain bien compris consiste à reconnaître le caractère perfectible de nos institutions, dont l’ouverture même à l’avenir et à la critique montre la supériorité par rapport aux formes dogmatiques, totalitaires ou théocratiques de la politique.
É. L.-R. : Pour finir, je reviendrai sur une problématique derridienne. Derrida, dans Foi et savoir (Seuil, 2000), qualifie ce qu’il appelle la « mondialatinisation » comme cette « alliance étrange du christianisme, comme expérience de la mort de Dieu, et du capitalisme télé-technoscientifique » qui serait, selon lui, « à la fois hégémonique et finie, surpuissante et en voie d’épuisement ». Ce concept de mondialatinisation, en replaçant la foi à l’intérieur même du savoir selon un geste non hégélien, ne déconstruit-il pas celui de sécularisation en montrant que celle-ci ne serait que le déploiement d’une forme chrétienne de la foi ? Ce soupçon d’une mondialatinisation fondée sur une foi qui s’ignore comme foi (ce qui me semble différent d’une « sécularisation-transfert »), mais qui demeure comme principe du lien politique et du savoir ne permet-il pas de penser, avec Derrida, une forme universelle de la foi ? Et la possibilité de reconstruire un espace public qui se fonderait sur une foi indéconstructible, sans rapport avec le nom d’un Dieu, mais laissant la possibilité à toutes les formes de croyances articulées à une religion spécifique de s’exprimer librement ?
J.-C. M. : Derrida a en effet souvent émis de lourdes réserves vis-à-vis du concept de sécularisation, proposant d’y substituer d’autres approches, comme celle que vous évoquez : penser les effets d’une « mondialatinisation » qui se traduirait par la diffusion, au plan mondial, de schèmes et de concepts « latins », « romains », à commencer par la compréhension romaine du « religieux », mais aussi par la diffusion des pratiques et des problématiques du « pardon » public (et de la « repentance ») qu’il avait analysées jusqu’en Afrique du Sud (avec les travaux de la Commission Vérité et Réconciliation, sous l’égide de Mgr Desmund Tutu) et qu’on retrouvait aussi bien en Amérique du Sud qu’au Japon comme travail politique pour sortir de situations de guerres civiles ou surmonter des traumatismes historiques. Dans La Querelle de la sécularisation, je m’étonnais cependant de l’argument qui, d’un côté, prétend récuser le concept de « sécularisation » comme étant « trop chrétien » par son origine, son étymologie, la structure conceptuelle qui le sous-tend – la distinction du « siècle » et de la « règle » -, pour introduire ensuite, d’un autre côté, des concepts alternatifs qui ne me semblent pas moins chargés d’histoire occidentale – « mondialatinisation » ou « horizon kénotique de la mort de Dieu ». (De même, d’ailleurs, répétant le rejet par Heidegger du concept de sécularisation, la « déconstruction du christianisme » initiée par Jean-Luc Nancy me paraissait-elle entièrement contourner une nécessaire explication avec Blumenberg lorsqu’elle présupposait que le monde moderne ne serait essentiellement rien d’autre que le monde chrétien sécularisé). Je dois dire que Derrida avait accueilli avec une grande ouverture et générosité cette amorce de débat, par une lettre où il me disait son enthousiasme et le fait que les développements de La Querelle de la sécularisation consacrés à Carl Schmitt, en particulier, recoupaient nombre de ses intérêts du moment – en 2002, il travaillait en effet sur la souveraineté, la peine de mort, etc. Malheureusement, sa disparition en 2004 ne nous a pas permis de poursuivre la discussion ; la parution du cours sur la peine de la mort m’a entretemps éclairé sur la volonté de Derrida de « penser le théologico-politique à partir de la peine de mort », nouant ensemble la question de la souveraineté et du « droit de vie et de mort » autrement que ne l’avait fait Foucault ; elle m’a néanmoins aussi confirmé que Derrida prenait trop pour acquise, à mon sens, la compréhension de la théologie politique et de la souveraineté moderne élaborée par Carl Schmitt, ce qui le conduit à sous-estimer certaines discontinuités modernes, et l’importance normative qu’il y a, selon moi, à défendre la sécularisation, un concept dont on ne peut pas se passer sans dommages.
Pour reprendre ainsi votre question : la « sécularisation » n’est-elle que le « déploiement d’une forme chrétienne de la foi », là où la « mondialatinisation » permettrait de situer une « foi indéconstructible » au fondement du lien social et rendrait ainsi compte, sur un mode moins « christianocentré », d’une forme universelle de foi (qui peut être « non religieuse », ou ne pas se percevoir comme telle) ? C’était le pari des textes de Derrida sur la religion, mais j’avoue un certain scepticisme, non pas tant sur le fait que le concept de sécularisation est bien le fruit d’une histoire sédimentée particulière et comporte des biais liés à une conception chrétienne de la religion – c’est certain, et le versant critique de ces textes de Derrida me semble précieux à cet égard, contre l’ethnocentrisme et l’évolutionnisme souvent sous-jacents aux usages naïfs du concept et du « récit » de sécularisation – que sur la vertu des concepts alternatifs proposés. L’idée que toute société renvoie à un noyau de croyances qu’elle ne peut objectiver n’est guère nouvelle, c’est une des idées de base de la sociologie des religions, dans sa tendance durkheimienne. En en parlant comme d’une « foi », cependant, on projette à son tour un concept très déterminé, et qui renvoie plutôt, dans sa construction chrétienne, au pôle subjectif de l’adhésion religieuse, sur une réalité qu’on veut saisir comme universelle, et cela me semble peu pertinent – du moins, je ne vois pas bien ce que l’on gagne. Je ne vois pas en quoi « foi indéconstructible » est un concept moins « occidental » ou moins « chrétien » que « sécularisation ». Si c’est la prétention de ce concept à rendre compte d’expériences multiples, confessionnellement et culturellement variées, qui est en jeu ici, ce n’est pas tellement à leur origine qu’il faut s’attacher, me semble-t-il, mais à leur capacité à rendre compte de structures communes et de processus contingents. Pour cela, il est sûrement bon de développer des « récits plus subtils », comme le propose Charles Taylor, ou de suivre des complexes mouvants mettant aux prises pouvoirs politiques et religieux dans différents contextes, comme y invite Hans Joas. La notion de « mondialatinisation » peut-elle contribuer à ce programme de redescription des processus qui affectent les « religions mondiales » aujourd’hui ? J’en ai vu peu d’usages appliqués qui confirmeraient sa force heuristique.